Dépendances : les demandes d’aide des jeunes ont doublé
18 février 2022
Le profil des jeunes dépendants a changé depuis le début de la pandémie. Action toxicomanie, qui réalise des activités de promotion de saines habitudes de vie et de prévention des dépendances auprès des 10 à 30 ans, a vu son nombre de demandes d’aide doubler en deux ans.
Établi depuis 30 ans au Centre-du-Québec et, plus récemment, en Mauricie, Action toxicomanie est bien présent dans les écoles primaires et secondaires de Drummondville, que ce soit par la présence d’un intervenant quelques jours par semaine ou bien via des ateliers de sensibilisation et de prévention.
«Depuis quatre ans, nous offrons 18 ateliers différents aux jeunes du secondaire, mais aussi ceux en 5e et 6e année. En s’appuyant sur les meilleures pratiques de prévention des dépendances, on outille les élèves, que ce soit au niveau de l’affirmation de soi, la construction de l’identité et de l’estime en plus de démystifier tout ce qui entoure la demande d’aide, et ce, dans le but que les jeunes résistent à l’influence des dépendances. On fait aussi de la prévention en santé mentale», explique Audrey-Ann Lecours, superviseure clinique et responsable de ce programme.
Avant la pandémie de COVID-19, les intervenants recevaient deux ou trois demandes d’aide à la suite d’un atelier; elles s’élèvent maintenant à six ou sept, parfois même à dix.
«C’est très significatif. Ça ne veut pas nécessairement dire qu’il y a plus de problèmes. C’est peut-être plutôt le fait que les jeunes demandent plus d’aide. D’ailleurs, depuis la pandémie, on voit un grand besoin de la jeunesse de parler, de s’exprimer. Il y a plusieurs hypothèses, mais avec l’omniprésence des réseaux sociaux, il y a vraiment une envie d’échanger, de participer», souligne Mme Lecours qui supervise 21 intervenants.
Le profil du consommateur a également changé.
«Avant la pandémie, dans nos suivis, on avait toujours des jeunes un peu plus rock’n’roll, c’est-à-dire des consommateurs d’ecstasy, de cocaïne, etc., mais à cause du confinement et des mesures, il y a eu moins de partys, moins d’occasions festives pour en prendre, donc on a vraiment vu une diminution de consommation de toutes les drogues de synthèse. On observe par contre une augmentation du côté des dépendances aux écrans, au vapotage et au cannabis», note la professionnelle.
Les écrans
Le taux d’utilisation problématique des écrans chez les jeunes atteint un record.
«Franchement, c’est du jamais vu!» lance Mme Lecours.
Pour l’année scolaire 2020-2021, 24 % des demandes reçues par Action toxicomanie concernaient les jeunes dépendants aux écrans.
De septembre jusqu’à ce jour, 35 % des requêtes sont liées à cette dépendance.
«Et on est à mi-chemin de l’année scolaire. Une des explications, c’est que pendant la pandémie, les jeunes ont développé certaines habitudes, par exemple, entre deux cours, ils allaient gamer et ces comportements-là, malgré le retour en présentiel, ont demeuré, mais ont été adaptés selon l’horaire», précise-t-elle.
Les adolescents de 13 et 14 ans constituent la majorité de la clientèle actuelle pour ce service d’aide. Sans vouloir stigmatiser et généraliser, Audrey-Ann Lecours remarque toutefois cette tendance : les garçons sont davantage dépendants aux jeux vidéo tandis que les filles développent une utilisation obsessive des réseaux sociaux.
«Les garçons vont être plus dans l’anxiété de performance alors que les filles seront plus dans une anxiété d’apparence. Je ne dis pas que l’inverse n’est pas vrai, mais c’est cette tendance qui se dessine. Or, il y a beaucoup d’enjeux au niveau du développement de l’identité, de l’apparence. Par exemple, sur Tiktok, il y a des défis lancés par des influenceurs en lien avec la performance sportive. Ils incitent leurs abonnés à prendre de la créatine ou toutes sortes de préworkout. On a donc vu une augmentation importante de jeunes qui ont un comportement de dopage lié aux sports», déplore-t-elle.
Vapotage et cannabis
D’autre part, les intervenants d’Action Toxicomanie remarquent depuis environ sept ans une progression rapide de la consommation des produits de vapotage. Avant qu’ils soient commercialisés, environ 4 ou 5 % des jeunes au secondaire fumaient la cigarette. L’an passé, 77 % des demandes d’aide étaient formulées par des consommateurs de nicotine par vaporisation.
«Les influenceurs ont été très très proactifs pour promouvoir ces produits. Aussi, au début, toutes sortes de fausses croyances circulaient à l’effet qu’il n’y avait pas de risque de dépendance et pour la santé étant donné qu’il y avait zéro milligramme de nicotine alors que c’est faux. Dans plus de 30 % des bouteilles analysées en laboratoire, malgré le fait que c’était écrit zéro milligramme, il y avait des traces suffisantes pour développer une dépendance. En plus, on voit beaucoup de problèmes respiratoires sur le terrain», fait savoir Mme Lecours, soulignant qu’en juin 2021, le gouvernement a légiféré en la matière afin de mieux encadrer les contenus.
Aux dires de Mme Lecours, neuf jeunes sur dix ont commencé à vapoter à cause des saveurs.
«Il y a des pressions ministérielles présentement pour les enlever. Bref, il y a plein d’éléments de marketing qui sont venus hameçonner les jeunes qui sont malheureusement devenus des cobayes.»
Ce n’est pas tout. Les produits de vapotage ont mené à une nouvelle substance.
«Le crime organisé a saisi l’occasion au bond et a développé des produits, comme la wax pen. C’est fait à base de molécule de THC (cannabis). À titre comparatif, le taux de THC maximum présent dans les produits qu’on retrouve à la SQDC est de 30 %. Dans la wax pen, ça tourne autour de 98-99 %. C’est très préoccupant, car en étant exposés à ces taux incroyablement élevés, les jeunes peuvent potentiellement développer des problématiques importantes de santé mentale», se désole la superviseure clinique.
D’ailleurs, les intervenants ont noté une dégringolade du nombre d’adolescents en détresse.
Pour en revenir au cannabis et ses dérivés, il constitue la substance la plus consommée actuellement. L’alcool n’est pas loin derrière. La problématique est davantage observée chez les jeunes de 13-14 ans.
S’intéresser aux ados
Malgré toutes ces données préoccupantes, l’important, aux dires de Mme Lecours, c’est d’être disponible pour les adolescents, les informer et s’intéresser à eux, à ce qu’ils font. C’est d’ailleurs l’objectif des ateliers offerts dans les écoles.
«Les intervenants ont zéro une approche démoralisatrice. La trame de fond de nos ateliers, c’est de proposer un temps d’arrêt pour amener les jeunes à réfléchir sur la relation qu’ils ont établie avec les écrans ou la drogue, par exemple. Le but est de susciter la réflexion pour trouver des solutions vers l’atteinte d’un équilibre. Les ateliers sont propices aussi aux échanges avec ceux qui n’ont jamais développé de dépendances et/ou touché à une substance. Ça se déroule toujours dans le respect et sans jugement et on voit que les jeunes apprécient», indique-t-elle.
Les parents ont également un rôle clé à jouer.
«Les parents doivent s’intéresser à ce que leur jeune consomme et vérifier ce qu’ils font, mais pas dans une intention de moral, de police. Il faut poser des questions, comme : «Mais qu’est-ce que tu aimes là-dedans?» ou «Parle-moi du produit, je fais appel à ton expertise.» Cela fait en sorte que le jour où votre enfant aura besoin de vous, s’il sent qu’il y a une ouverture, il va faire appel à vous», fait valoir Mme Lecours.
Les parents qui se sentent malhabiles ou mal à l’aise par rapport à ces discussions ont accès à des services gratuits offerts par Action toxicomanie pour les guider.
En conclusion, Audrey-Ann Lecours invite les parents à demeurer vigilants et présents au cours des prochaines semaines alors que les allègements sanitaires seront propices à la consommation de substances avec les occasions festives qui se feront de plus en plus nombreuses.